Partie 1
Chapitre 5 : Les Autres
Novembre était arrivé et les feuilles des arbres étaient presque toutes tombées, arrachée par des bourrasques froides sur fond de ciel d’acier. Arisa lança un soupir. La moindre chose portée par le vent l’attirait plus que son devoir maison de physique. Assise à une table du CDI avec Asuka et Naru, seulement occupé de quelques élèves qui discutaient ou travaillaient, elle jouait distraitement avec son stylo, le regard perdu en direction des fenêtres.
Le loup avait envie de sortir s’amuser. Et elle sentait que sa partie humaine le désirait presque autant. Elle tourna la tête vers ses deux amies et leur lança un regard rempli d’innocence :
-Et si on allait se balader ?
-On a du travail à finir, répliqua Asuka qui était elle aussi plongée dans des exercices impliquant des chiffres associés à des symboles bizarres et farfelus.
-Alllezzzzz ! Insista Arisa en lançant son regard de chien battu. Juste histoire de se dégourdir les jambes !
-Les « jambes » ou les « pattes » ? Demanda Naru d’un ton soupçonneux.
Naru sentait aussi un peu la peur et la colère. Arisa s’aperçut alors qu’elle massait machinalement le bandage qu’elle portait à la main depuis bientôt 2 semaines et demie. Elle retira presque aussitôt la main en grinçant les dents.
Arisa savait qu’elle n’aimait pas ces histoires de transformation, qu’elle trouvait ça dangereux et complètement insensé. Elle pensait que « Mimiko et elle devrait arrêter de se transformer et chercher s’il existe un quelconque vaccin, comme pour la rage ».
Elle n’avait guère apprécié la comparaison par ailleurs. Et il lui semblait impensable, maintenant qu’elle y avait goutée, d’abandonner cet incroyable sentiment de force et de liberté totale. Naru ne savait pas ce que c’était. Elle n’avait jamais courue dans la fraîcheur nocturne où tout était plus beau, où l’air pétillait d’odeur exquise, où la lumière se diffusait presque de façon mélodieuse et ténue, caressant la surface de toute chose en silence et en douceur.
Lui ôter tout ça, ce serait comme lui mettre une muselière avant de l’enfermer dans une cage d’où elle ne pourrait voir la lune qu’à travers d’épais barreaux.
Le loup en elle grogna à cette idée et menaça Naru de l’intérieur. Extérieurement, Arisa s’était redressée, levait le menton et un son presque inaudible sortit du fond de sa gorge. Elle avait encore du mal à contrôler ça… Mais c’était toujours mieux que Mimiko qui ronronnait quand elle était contente.
Si, si, véridique.
D’ailleurs la panthère était en retard.
-Fait attention Arisa, ya ta queue qui est sortie, lança Asuka d’un coup d’œil vers le manteau de la louve qui, posée sur le dossier de la chaise, laissait apparaitre un pinceau de poil clair. .
-OH PUTAIN DE BORDEL DE MERDE ! Lâcha la jeune fille en se retenant de ne pas se lever et ainsi montrer à tout le monde, l’appendice qui n’avait pas lieu d’être.
Evidemment, le seul jour où elle avait décidé de mettre une jupe… Mais bon, ça lui permettait de mettre aussi ces superbes bottes qu’elle s’était achetée
-Tu devrais faire plus attention, la réprimanda Naru alors qu’elle essayait tant bien que mal de faire disparaitre cet attribut canin.
Ca aussi, ça arrivait de temps en temps. Lorsque le loup cherchait à sortir et que l’humain résistait, elles se transformaient à moitié. Leurs cordes vocales pour les ronronnements et les grognements, parfois leurs oreilles, parfois leurs yeux… Mais bon, cela restait généralement discret quoiqu’un peu déroutant.
La queue disparut, Arisa sentit alors l’odeur caractéristique, forte et encore un peu écœurante pour elle, de Mimiko envahir la pièce.
-Un problème ? Lança cette dernière, encore emmitouflée dans un gros manteau beige.
-C’est réglé, expliqua Arisa. Viens t’asseoir !
La brune ne se le fit pas dire deux fois et pris place autour de la table, regardant d’un air dégoutés les exercices de physique.
-… Je vois que vous vous amusez bien…
-On t’attendait, expliqua Asuka en fermant son cahier. Alors ?
Mimiko avait dû se présenter à un interrogatoire de police ce matin, tout comme ses amies qui avaient été convoquée tout le long de la semaine.
-Ca y est, l’affaire est bouclée : ils ont conclu que les deux policiers avaient été tués par des bêtes sauvages. Par contre ils vont continuer à patrouiller dans le secteur… Soupira Mimiko avant de se tourner vers Arisa : Il va falloir trouver un nouveau territoire…
Arisa hocha la tête gravement.
-Je me sens mal tout de même pour ce pauvre policier qu’on a essayé de sauver… Sans succès… Commenta Naru en baissant tristement la tête.
-Tu as fait de ton mieux, temporisa Arisa en voyant que Mimiko et Asuka était gênée par ce sujet.
Naru fit un signe de la tête et recommença à se malaxer son bandage. S’en apercevant, Mimiko fronça les sourcils :
-Naru, tu as encore mal ? Demanda-t-elle, continuant à se sentir mal à ce sujet.
-Je sais pas pourquoi, mais ça m’élance… Ca me brûle… Ca a dû s’infecter avec toute la boue de ce jour là… Il faut dire que j’étais tellement inquiète pour le policier que j’ai même pas pensé à me bander ou à désinfecter…
-Ca brule, tu me dis… Ca m’inquiète, moi aussi ma morsure me brulait…
-Oui, mais moi j’ai pas été mordu, s’empressa d’ajouter la jeune fille, à présent anxieuse.
-On sait pas si c’est uniquement avec morsure, répliqua Arisa. En fait on sait rien du tout sur nous… Peut être que les griffures ont le même effet…
-Oh non… Oh non… Mimiko, dis moi que ce n’est pas vrai ! Je ne veux pas me transformer en bête féroce !
-Comme l’a dit Arisa, on en sait rien… Et puis on n’est pas des bêtes féroces !
Naru lui lança un air désabusé et réprobateur en guise de réponse.
-Cependant… Je viens de me souvenir de quelque chose… Continua Mimiko.
-Quoi ? Fit Arisa.
-Lorsque j’ai été mordu, on m’a emmené à l’hôpital et j’ai rencontré un médecin très gentil qui m’a dit de retourner le voir si ma blessure me brûlait… Quand ça a été mon cas, j’ai pas fait le rapprochement… Mais il m’a aussi demandé il me semble s’il ne s’était pas passé des choses bizarres… Je me demande s’il n’est pas au courant de quelque chose.
-Tu m’en as jamais parlé, réalisa Arisa.
-J’avais pas fait le rapprochement ! Et puis j’ai une mémoire sélective, que veux-tu !
-Ah ! Ce serait tellement bien si un médecin savait ce qui VOUS arrivez ! S’exclama Naru en insistant pour ne pas s’intégrer dans cette histoire.
-Hm… Oui… Mais je ne connais pas son nom… Avoua Mimiko, un peu piteuse. Mais ça peut peut être se trouver… A votre avis : est-ce que je peux utiliser un des ordis du CDI ?
-Je vais t’inscrire à mon nom, fit Arisa en se levant pour aller s’inscrire sur le cahier se trouvant au bureau des documentalistes, invoquant une hypothétique recherche sur le milieu hospitalier pour les cours de SVT.
Pendant ce temps là, Mimiko s’installa devant un ordinateur, entourée d’Asuka et de Naru entra sur Google le nom de l’hôpital. Elle chercha alors la liste des praticiens, regardant particulièrement leurs horaires, se souvenant que l’homme lui avait expliqué qu’il était de garde la nuit. Elle s’arrêta finalement sur un nom qui semblait correspondre.
-Le docteur Kyogane Aoba… Tiens, je n’avais pas réalisé qu’il était asiatique… Songea à voix haute la brune.
-C’est lui ? Demanda Naru.
-On dirait… Mais il n’y a pas de photo, alors je peux me tromper.
-Alors ? Tu pense qu’on devrait aller le voir ? La questionna Arisa qui s’était penchée sur son épaule.
-On ne perd rien à le faire, répondit Mimiko.
Elles se décidèrent alors sur une date et une heure pour rendre visite au mystérieux docteur, en espérant qu’il aurait des réponses à leurs questions.
Elles ne s’attendaient cependant pas à ce qu’elles allaient entendre.
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